À Lille, Brood ne broie pas du noir
Ce mois-ci, la boulangerie Brood fête ses quatre ans. L’occasion de réfléchir a son évolution sans changer ses fondamentaux : une courte gamme de pains naturels au levain, livrés à vélo.
Un bleu franc, entre le bleu Klein et le bleu roi. À Lille, la nuance est connue comme le bleu “Brood” (pain en flamand), nom de la boulangerie fondée en mars 2020 par Sarah Cnudde et Louis Devos. « On avait prévu d’axer notre communication sur les réseaux sociaux en martelant nos messages avec une couleur très identifiable », expliquent les deux associés vêtus de bleu, de pied en cap pour Sarah, en fabrication ce matin-là.
Louis prendra le relais pour la vente au fournil, de 16 heures à 19 h 30, en dépliant son micro-comptoir de porte. Charge à lui aussi de rafraîchir le levain le soir et de préparer la production du lendemain. « Mais les rôles tournent », précisent les deux gérants.
Du lundi au vendredi, les pâtes sont pétries, fermentées et cuites le matin, puis les pains sont envoyés vers les différents points de livraison (des épiceries, des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne [Amap], des restaurants, des groupements de salariés ou de particuliers, pour la moitié du chiffre d’affaires) en début d’après-midi, via une coopérative de coursiers à vélo. « La preuve qu’on peut faire fonctionner une boulangerie en démarrant à huit heures du matin et avec une plage d’ouverture réduite dans la journée », remarque Sarah.
Cette condition était l’un des piliers du projet développé par ces deux amis, reconvertis dans le métier autour de la quarantaine. « Durant ma formation au Centre de formation d’apprentis [CFA] de Tourcoing, je me suis renseignée sur ce qui se faisait ailleurs dans le monde pour trouver des alternatives au modèle traditionnel que j’ai pu expérimenter en stage. Avec Louis, on voulait monter une boulangerie à notre image, et à notre rythme », rappelle cette ancienne professionnelle de la culture.
« Du pain au levain, avec de bonnes matières premières »
Avant de se passionner pour le levain et de passer son CAP en candidat libre en 2019, Louis travaillait dans la communication : « En sortant du boulot le soir, je galérais pour trouver du pain », se souvient l’artisan, alors en quête de sens et d’un nouveau souffle, tout comme son associée. « On voulait fabriquer du pain au levain, avec des bonnes matières premières. » Cette vision partagée scelle leur association sous un statut coopératif (lire encadré).
Concept et business plan validés, Sarah et Louis partent à la recherche d’un local à Lille. Ils trouvent un petit espace (ex-garage à scooter) accolé à un tiers-lieu—café citoyen dans un quartier résidentiel un peu excentré. Le compromis idéal pour eux : « On avait envie d’avoir des “collègues”, en l’occurrence nos voisins, et cela permettait d’impulser une dynamique collective en réunissant des gens d’univers différents. »
Leur lancement en pleine crise sanitaire se révèle être une bonne idée : « Tous les commerces étaient fermés dans notre quartier et les habitants ont afflué dans notre boulangerie. Les confinements successifs leur ont permis de s’habituer à nos horaires atypiques. »
Ils en profitent pour roder leur technique de panification avec « une seule souche de doux levain liquide de blé, baptisée Zadaar, et une fabrication en direct, sans blocage à froid » ; ainsi que leur courte carte : le Brood, un pain aux blés paysans moulus sur meule de pierre, nature ou aux graines ; le Dark Brood, un mélange de seigle et de blé enrichi en graines et flocons d’avoine, façon pain scandinave ; un Brood Terril tout noir au charbon végétal, avec des graines de sésame. À ces références s’ajoutent un petit épeautre, un pain de mie (mi-levain, mi-levure) aux graines de tournesol et, nouveauté de l’année, un “low gluten” (riz-sarrasin et graines de pavot).
Brood propose aussi des brioches bien moelleuses en deux formats (90 ou 470 g) et trois parfums (nature, raisins sultanine et chocolat noir du Pérou à 60 % de cacao). Des recettes éphémères complètent cette offre au fil de l’année, comme un kanelboller cannelle-cardamome à Noël ou le Golden Brood — un pain (détox) curcuma-gingembre — en janvier : l’occasion de s’amuser avec des partenaires qui partagent leurs valeurs, comme Nomie Épices.
Des moutures de proximité, pour la fraîcheur
De la même manière, les Lillois soignent leur approvisionnement en farines paysannes. Leur premier meunier Michel-Carol Papin a depuis été rejoint par deux autres fournisseurs, dont Frédéric Eeckhout de Trésors de fermes. Installé à Terdeghem, à 50 bornes de Lille, ce dernier leur livre aujourd’hui 80 % de leurs farines. Sa proximité est un gage de fraîcheur des moutures et résout la problématique du stockage, extrêmement réduit dans leur fournil actuel.
D’autant que le duo est devenu trio en septembre 2022. Également issue d’un parcours de reconversion, Léa a intégré Brood après une alternance concluante. Malgré un rangement et un ménage rigoureux pour ne pas encombrer leurs 23 m2, « on commence à être à l’étroit », concède Sarah. D’où la recherche d’un nouvel espace de production, « quitte à garder notre local en lieu de débit ».
Un déménagement pourrait leur permettre d’élargir encore l’équipe et la gamme, mais sans excès : « Nous n’avons pas vocation à devenir une multinationale ni à proposer une offre pléthorique », sourit Louis. Après quatre ans d’existence, Brood n’est donc pas opposé à un développement, mais raisonné pour conserver ses dimensions humaines et son ancrage social. « Le pain est un produit vivant, reflet de nos humeurs », conclut Sarah, dont la passion pour la panification n’a fait que grandir depuis sa reconversion. Un savoir-faire qu’elle souhaite transmettre à son tour en accueillant des stagiaires.